Je m’éloigne

Ils étaient nombreux à être assis sur des tabourets dans le couloir face à la porte de la salle de réunion qui faisait office de salle de délibération, certains étaient debout et d’autres assis par terre.

Ce rendez-vous dans ce couloir avait lieu avant midi et en fin d’après midi durant deux ou trois jours fin mai ou début juin chaque année.

Visages tendus ou rassurants comme à chaque fois qu’un groupe d’étudiants passait son diplôme. Il y avait des rires mais aussi des larmes de fatigue, d’angoisse ou de joie.

Je ne sais pas qui instaura cette nouvelle règle mais tous les étudiants de cette promotion l’appliquèrent.

Chaque demi-journée le jury devait réunir les trois ou quatre étudiants dont ils venaient de voir le travail, les recevoir individuellement et leur donner le résultat des délibérations en motivant ce résultat. La règle était donc de ne rien dire en sortant de cette salle. Un des étudiants du groupe se tenait près de la porte avec un jouet revolver qu’il proposait au sortant. Mettre le canon du revolver sur sa tempe et tirer si l’on avait échoué, tirer deux coups en l’air pour l’obtention du diplôme, trois coups pour une mention et quatre pour les félicitations.

Comme s’ils le savaient tous, la première proposition n’allait concerner personne et ils s’amusèrent en exprimant leur bonheur soit après avoir tiré quatre coup le plus rapidement possible pour exploser de joie soit en tirant lentement un premier coup puis un autre et puis encore un autre et parfois encore un il y avait les heureux timides qui n’osaient aller jusqu’à quatre. Rares étaient les étudiants qui durent tirer seulement deux fois.

Ce couloir, était occulté durant plusieurs minutes, les personnes qui n’étaient pas concernés par ce qui se déroulait s’arrêtaient par obligation, demandaient quelle section ? avions-nous déjà des résultats, le jury était-il sévère ?
Loin de moi, de l’autre côté du couloir, la plus jeune de nos professeurs terriblement blonde cachait les scintillements liquides de ses yeux derrière des sourires excessivement généreux. Alors j’ai pensé que le temps avait cette faculté de dissoudre les excès, non pas pour les faire disparaître mais au contraire pour qu’ils apparaissent sans cesse dans une absence de temps. Les émotions ont la légèreté de l’air que l’on respire.

C’est dans ce vide vertigineux que j’évolue. Je ne fais que m’éloigner.

Larmes

Amélie discutait avec ses camarades dans le couloir de l’école après les cours. Celles et ceux qui voulaient aller à l’autre extrémité du couloir devaient passer au milieu de la conversation, la plupart le faisait en disant pardon, d’autres ne disaient rien et passaient vite. Je n’ai osé ni dire pardon ni passer vite, alors je me suis glissé dans la discussion. Amélie nous disait combien elle avait été hésitante dans le choix de ses études entre journalisme et graphisme, elle était critique devant les sujets que ses profs lui donnent mais aussi critique devant sa façon de répondre à ces sujets, trop sage, pas assez engagé… « Je dors trop ici ! ». L’an dernier elle était dans une école au centre de Paris à l’abri des banlieues avec des camarades filles et fils de «bobos», tous conscients de faire parti d’une élite. Les larmes lui venaient au bout des yeux lorsqu’elle évoquait ces camarades-là. Ils n’avaient jamais côtoyés ni jeunes arabes ni jeunes africains et étaient fiers d’exprimer leur exclusion inversée. Déconnectée du monde, voilà où étaient le trouble et la souffrance d’Amélie. Malheureuse dans son ancienne école parisienne, malheureuse ici dans sa nouvelle école et surtout insatisfaite de ses propres expressions et résultats.

Depuis combien de temps ne savons nous plus communiquer l’envie de faire, de dire, de crier, de résister? Nous pouvons ranger nos théories pédagogiques derrière la nécessité de fabriquer des gens qui auront un métier dans une période où tout est difficile. Face à toutes les autorités possibles que nos étudiants rencontreront, ils s’entendront dire de toutes façons qu’il faut s’estimer heureux d’avoir un travail intéressant ou pas, bien ou mal payé etc. L’inhumanité a le sourire! Les choses sont rudes, le monde dans sa dureté appellerait-il notre soumission à tout ?

J’ai eu envie de pleurer avec Amélie ! Histoire de savoir pleurer, d’apprendre à pleurer pour de vraies et bonnes raisons.

Un collègue lui conseilla le petit livre de Stéphane Hessel : Indignez-vous. Mais cela n’enlève pas « le mal à la tête, le mal à l’humanité » comme disait le poète Fernando Pessoa, « le mal aux autres » comme disait l’autre poète Jacques Brel.

Je pourrais me plonger dans l’actualité internationale, nationale ou locale, je préfère relire un document PP reçu il y a quelques temps et intitulé :

« De l’institut d’arts visuels à l’école supérieure d’art et de design d’Orléans »
Page 9
L’autonomie pédagogique
Rôle du directeur
Le directeur dirige l’établissement et à ce titre:
Il élabore et met en œuvre le projet pédagogique, artistique et culturel et rend compte au moins une fois par an de l’exécution de ce projet au CA.
– Il s’assure de l’exécution des programmes d’enseignement de l’établissement.
– Il assure le bon fonctionnement de l’établissement, le respect de l’ordre et de la discipline.
– Il prépare le budget et en assure l’exécution.
– Il assure la direction de l’ensemble des services.
– Il prononce les sanctions à l’encontre des étudiants après avis du conseil de discipline.

Dans une école supérieure, avant toutes choses, nous devons être sages !
Apprenons à mieux pleurer.

Absence…

Présence | Une nouvelle étudiante

Il m’est arrivé de penser à mes futurs étudiants régulièrement durant tout un été, quels caractères et quelles expressions avaient-ils ? cet exercice était une façon de penser le temps, ne pas oublier celles et ceux qui venaient de terminer leurs études. Les visages des nouveaux ne pouvaient pas remplacer ceux des anciens, ils allaient juste s’ajouter et je n’avais qu’une envie, leur faire de la place. Je le désirais tant que je cherchais leur visage au fond de ma mémoire, j’aurais voulu les trouver, devancer le temps. Mettre mes certitudes dans cette folle attention.

En voyant les nouvelles têtes dans l’auditorium du musée des beaux-arts je me rendais compte que je n’avais pas pensé à eux cette année. Je promenais mon regard dans chaque rangée, je lisais l’auditorium comme une page d’écriture et je cherchais les silhouettes qui me remettraient en mémoire les brefs instants passés avec chaque candidats quelques mois avant.

Au milieu du gradin, une jeune fille notait avec application tout ce qui lui semblait important des différents discours. J’avais déjà oublié l’objet de mon observation et me demandais où je l’avais déjà vue ? !

Lorsque ma mémoire fut complètement rafraîchie je ne regardais qu’elle comme pour avoir la confirmation de mon sourire intérieur.

Elle avait passé son bac et l’avait obtenu, elle avait eu le résultat favorable du concours d’entrée de notre école supérieure d’art et de design. Les choses se dessinaient bien pour elle.

Elle ignore encore et ignorera peut-être toujours ce que fut notre conversation à son sujet après l’entretien au concours d’entrée.

Nous avions trouvé son dossier assez pauvre, sa candidature nous paraîssait même décalée. Certains collègues n’auraient pas pris le temps d’épiloguer sur son cas. Pour nous trois, ce jour-là, tout ce qu’elle était nous interrogeait, de son âge à ses dessins en passant par ses mots. Il y avait une concordance entre ses rêves, ses envies et son innocence entretenues par son entourage. Notre conclusion allait presque à l’encontre de nos pensées. Et d’un commun accord nous lui avions attribuer une bonne note en pensant que notre devoir était de l’aider ainsi, noter seulement sa motivation.

Aujourd’hui je l’ai vue studieuse ou heureuse ou les deux.
Et ni elle ni nous n’avons cette conscience qui prouverait nos raisons.

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Deuxième et troisième dimensions

Fiction possible

Elle me faisait penser à une célèbre actrice de cinéma. Toutes deux avaient au moins le prénom en commun, la célèbre actrice que je n’avais vu qu’en deux dimensions avait la réputation d’une beauté froide.
Blonde et toujours légèrement maquillée, elle souriait généralement avec retenue pour ne pas créer de rides autour de la bouche? elle plissait les yeux et d’un geste de la tête un peu raide envoyait ses cheveux mi-long derrière les épaules. Souvent vêtue d’un chemisier blanc d’une veste cintrée et d’un pantalon noir moulant nous devions apprécier son élégance soignée et son impérissable jeunesse.
Avec certains collègues nous nous retrouvions à la cafétéria de l’école un lundi en milieu d’hiver. Ce jour-là elle s’était jointe à nous et sitôt arrivée à la table elle sollicita un collègue pour qu’il la libère de son sac à main. Le sac passa au dessus des assiettes de mains en mains pour être rangé sur le rebord de la fenêtre. Elle souriait avec ses habitudes chaleureuses et mesurées. Elle se laissait regardée dans les intervalles silencieux puis elle profita d’un instant vide pour nous dire qu’elle n’était pas encore là. Un mot qui sollicitait interrogation curiosité et silence, devant cette pause fabriquée et l’attention que nous lui portions elle nous justifia sa demi-absence.
«-J’étais en Italie…Il faisait 15 degrés.»
Sans doute lui avons-nous posé quelques questions? Elle nous dit avoir visiter la fondation Pinault à Venise, fait un tour en gondole, en riant légèrement davantage pour nous faire partager ce sentiment d’exotisme fort et léger en même temps. Je la regardais et l’imaginais là-bas, avec son compagnon de toujours, le week-end de la Saint Valentin. Ce voyage aurait été une sorte de rêve? Y seraient-ils allés tous les deux, rien qu’eux deux? Le temps d’un instant je me la représentais assise dans une gondole, heureuse d’être entrée dans la carte postale.
L’après midi de ce jour-là elle consultait un groupe d’étudiants afin de connaître le choix et les motivations de chacun pour le stage en entreprise qu’ils devaient faire en fin de semestre. Quand ce fut le tour de Marie, elle lui dit qu’elle avait trouvé un graphiste qui acceptait de la prendre pour un mois. Elle était heureuse à l’idée de passer quatre semaines chez celui qui réalise entre autre les affiches des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. Le professeur se pencha sur le cv de Marie: BAC stg et quelques stages en milieu forain. Marie lui parla alors de son père collectionneur et fabriquant de manèges. Son professeur lui demanda si ses parents étaient forains, Marie lui répondit qu’ils l’avaient été. Cette réponse provoqua un arrêt de l’entretien et notre professeur omniprésente releva la tête et dit : «Mais qu’est-ce que tu fais là?». Ce point d’orgue retenti dans la tête de Marie qui resta muette et s’en alla verser quelques larmes au sous sol pendant qu’en haut quelqu’un de fantomatique avait des difficultés à sortir d’une image!
Parfois Venise n’est qu’un décor excessivement plat même en trois dimensions et c’est excessivement triste.