Deuxième et troisième dimensions

Fiction possible

Elle me faisait penser à une célèbre actrice de cinéma. Toutes deux avaient au moins le prénom en commun, la célèbre actrice que je n’avais vu qu’en deux dimensions avait la réputation d’une beauté froide.
Blonde et toujours légèrement maquillée, elle souriait généralement avec retenue pour ne pas créer de rides autour de la bouche? elle plissait les yeux et d’un geste de la tête un peu raide envoyait ses cheveux mi-long derrière les épaules. Souvent vêtue d’un chemisier blanc d’une veste cintrée et d’un pantalon noir moulant nous devions apprécier son élégance soignée et son impérissable jeunesse.
Avec certains collègues nous nous retrouvions à la cafétéria de l’école un lundi en milieu d’hiver. Ce jour-là elle s’était jointe à nous et sitôt arrivée à la table elle sollicita un collègue pour qu’il la libère de son sac à main. Le sac passa au dessus des assiettes de mains en mains pour être rangé sur le rebord de la fenêtre. Elle souriait avec ses habitudes chaleureuses et mesurées. Elle se laissait regardée dans les intervalles silencieux puis elle profita d’un instant vide pour nous dire qu’elle n’était pas encore là. Un mot qui sollicitait interrogation curiosité et silence, devant cette pause fabriquée et l’attention que nous lui portions elle nous justifia sa demi-absence.
«-J’étais en Italie…Il faisait 15 degrés.»
Sans doute lui avons-nous posé quelques questions? Elle nous dit avoir visiter la fondation Pinault à Venise, fait un tour en gondole, en riant légèrement davantage pour nous faire partager ce sentiment d’exotisme fort et léger en même temps. Je la regardais et l’imaginais là-bas, avec son compagnon de toujours, le week-end de la Saint Valentin. Ce voyage aurait été une sorte de rêve? Y seraient-ils allés tous les deux, rien qu’eux deux? Le temps d’un instant je me la représentais assise dans une gondole, heureuse d’être entrée dans la carte postale.
L’après midi de ce jour-là elle consultait un groupe d’étudiants afin de connaître le choix et les motivations de chacun pour le stage en entreprise qu’ils devaient faire en fin de semestre. Quand ce fut le tour de Marie, elle lui dit qu’elle avait trouvé un graphiste qui acceptait de la prendre pour un mois. Elle était heureuse à l’idée de passer quatre semaines chez celui qui réalise entre autre les affiches des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. Le professeur se pencha sur le cv de Marie: BAC stg et quelques stages en milieu forain. Marie lui parla alors de son père collectionneur et fabriquant de manèges. Son professeur lui demanda si ses parents étaient forains, Marie lui répondit qu’ils l’avaient été. Cette réponse provoqua un arrêt de l’entretien et notre professeur omniprésente releva la tête et dit : «Mais qu’est-ce que tu fais là?». Ce point d’orgue retenti dans la tête de Marie qui resta muette et s’en alla verser quelques larmes au sous sol pendant qu’en haut quelqu’un de fantomatique avait des difficultés à sortir d’une image!
Parfois Venise n’est qu’un décor excessivement plat même en trois dimensions et c’est excessivement triste.

Portrait

Un prof petit

Il s’était assis à côté de celle avec qui on le voyait toujours. Tous les deux se parlaient sans cesse à l’oreille, se regardaient et se souriaient. Elle était grande et mince, les cheveux longs châtains et raides. Souvent vêtue d’un jean’s et d’un tee-shirt moulants, elle était jeune depuis longtemps.
Une ou deux semaines avant ce conseil de classe où je m’étais amusé à les observer, j’avais passé une demi-journée avec lui et une autre collègue. Nous formions tous les trois un jury pour les candidats inscrits au concours d’entrée de notre école supérieure de design. Lui, était petit et ne tenait pas en place, se levant de son siège constamment. Il n’affrontait presque personne de son regard. Il faisait mine de comprendre avec rapidité expédiant les candidats pour en être libéré. Il regardait sa montre très souvent. Il était toujours chaussé de baskets noires ou rouges.
Il sautillait. Un garçon se présenta avec un immense carton à dessin dans lequel étaient rangés ses projets d’affiches. Passionné de graphisme, il nous montrait comment il aimait jouer avec les mots et la typo, comment il était impliqué dans quelques associations de la banlieue nord de Paris. Nous ne pouvions qu’apprécier ses motivations et son dossier. Lorsqu’il quitta la salle, je m’adressais à ma collègue en lui demandant :
« – Alors ? – Ça va, me dit-elle » et je poursuivais en lui disant qu’il était peut-être le meilleur depuis le début de la journée. Elle semblait d’accord mais le petit prof ne l’était pas. Alors il alla chercher l’épreuve plastique réalisée la veille et nous dit :
« – regardez ça ne vaut rien ». L’entretien s’était si bien passé que cette épreuve était excusable d’autant que l’exercice demandé avait consisté à réaliser un volume. La maturité de ce candidat était dérangeante, ses choix aussi, ses origines sans doute, il était sud américain.
Elle écoutait les arguments du petit prof puis elle me regarda en disant :
« – On est deux contre un et on lui met 15 ! ». Il accepta sans rien dire mais en se levant de son siège plus souvent encore, regardant sa montre davantage sans plus donner aucun avis sur les autres candidats. Parfois il allait chercher l’épreuve de celui que nous avions apprécié pour nous dire sans cesse et toujours :
« – Quand même ! 15 » Alors me revint en mémoire le jury que nous formions un an auparavant avec lui et un autre prof. Nous avions reçu une jeune chinoise à qui nous avions posé des questions à propos de son pays, des dirigeants de son pays la Chine, des droits de l’homme etc. L’esprit critique de la jeune fille apparaissait dans son travail graphique, dans son discours bien sûr. Elle se destinait vers le design graphique ou la communication. Nous avions été aussi deux contre un quant à la décision à prendre pour son admission. La réaction du petit prof avait été cinglante.
« Y en a mare des yeux bridés ». Et pour argumenter ces mots et prouver sa raison, il nous dit qu’il connaissait les chinoises mieux que nous pour avoir vécu une histoire d’amour avec l’une d’elles. L’histoire était sans aucun doute terminée !