Portrait

Un prof petit

Il s’était assis à côté de celle avec qui on le voyait toujours. Tous les deux se parlaient sans cesse à l’oreille, se regardaient et se souriaient. Elle était grande et mince, les cheveux longs châtains et raides. Souvent vêtue d’un jean’s et d’un tee-shirt moulants, elle était jeune depuis longtemps.
Une ou deux semaines avant ce conseil de classe où je m’étais amusé à les observer, j’avais passé une demi-journée avec lui et une autre collègue. Nous formions tous les trois un jury pour les candidats inscrits au concours d’entrée de notre école supérieure de design. Lui, était petit et ne tenait pas en place, se levant de son siège constamment. Il n’affrontait presque personne de son regard. Il faisait mine de comprendre avec rapidité expédiant les candidats pour en être libéré. Il regardait sa montre très souvent. Il était toujours chaussé de baskets noires ou rouges.
Il sautillait. Un garçon se présenta avec un immense carton à dessin dans lequel étaient rangés ses projets d’affiches. Passionné de graphisme, il nous montrait comment il aimait jouer avec les mots et la typo, comment il était impliqué dans quelques associations de la banlieue nord de Paris. Nous ne pouvions qu’apprécier ses motivations et son dossier. Lorsqu’il quitta la salle, je m’adressais à ma collègue en lui demandant :
« – Alors ? – Ça va, me dit-elle » et je poursuivais en lui disant qu’il était peut-être le meilleur depuis le début de la journée. Elle semblait d’accord mais le petit prof ne l’était pas. Alors il alla chercher l’épreuve plastique réalisée la veille et nous dit :
« – regardez ça ne vaut rien ». L’entretien s’était si bien passé que cette épreuve était excusable d’autant que l’exercice demandé avait consisté à réaliser un volume. La maturité de ce candidat était dérangeante, ses choix aussi, ses origines sans doute, il était sud américain.
Elle écoutait les arguments du petit prof puis elle me regarda en disant :
« – On est deux contre un et on lui met 15 ! ». Il accepta sans rien dire mais en se levant de son siège plus souvent encore, regardant sa montre davantage sans plus donner aucun avis sur les autres candidats. Parfois il allait chercher l’épreuve de celui que nous avions apprécié pour nous dire sans cesse et toujours :
« – Quand même ! 15 » Alors me revint en mémoire le jury que nous formions un an auparavant avec lui et un autre prof. Nous avions reçu une jeune chinoise à qui nous avions posé des questions à propos de son pays, des dirigeants de son pays la Chine, des droits de l’homme etc. L’esprit critique de la jeune fille apparaissait dans son travail graphique, dans son discours bien sûr. Elle se destinait vers le design graphique ou la communication. Nous avions été aussi deux contre un quant à la décision à prendre pour son admission. La réaction du petit prof avait été cinglante.
« Y en a mare des yeux bridés ». Et pour argumenter ces mots et prouver sa raison, il nous dit qu’il connaissait les chinoises mieux que nous pour avoir vécu une histoire d’amour avec l’une d’elles. L’histoire était sans aucun doute terminée !