Doya

La Mongolie est trois fois grande comme la France et peuplée d’un peu plus de deux millions et demi d’habitants. Une seule voie ferrée traverse le pays du Nord au Sud entre la Russie et la Chine. D’Est en Ouest ce sont des routes goudronnées autour de la capitale et des pistes au delà d’un rayon de cent kilomètres. La plupart des gens nés à la campagne et venus travaillés à Ulaanbaatar durant la période socialiste ne sont jamais retournés chez eux. Doya est retourné chez elle cet été à quelques centaines de kilomètres au Nord-Est de la Capitale. Gerelmaa sa fille accompagnait quelques touristes français dans sa région. Doya leur préparait les repas.

En 2006 je l’avais rencontré pour lui donner à voir une vidéo que j’avais emporté avec moi. J’avais filmé Gerelmaa étudiante à Paris juste avant notre départ. Ce jour-là elle était allé chez le coiffeur et s’était maquillée pour paraître sur le petit écran devant sa famille. Est-ce la télévision qui provoqua les larmes de Doya? Ce que lui disait sa fille? Ou le fait de voir un enregistrement de sa fille? Un petit film qu’elle a pu voir et revoir. J’avais été une sorte de facteur cette année-là car Doya voulu répondre à sa fille, je la filmais quelques jours plus tard sans jamais savoir ce qu’elle se sont dit.

Portrait n°1 | Ulaanbaatar 2010

Tuya

Quand elle accompagna son fils Mugy, à l’école, début septembre, elle resta à Ulaanbaatar quelques jours. Ce fut l’occasion pour moi de l’entendre me raconter sa mémoire de la capitale à travers une multitude d’anecdotes qui la faisait rire. Après l’expérience de la ville qu’elle fit à la fin de son adolescence, l’évidence était la steppe.

Loin des métropoles, aujourd’hui, elle vit avec son fils et son mari. Isolée sans être ermite, elle serait une sorte de réfugiée des agglomérations.

Ai-je pensé après notre entretien que je venais de rencontrer l’être le plus lumineux ?

La première fois qu’elle vit un autobus, à l’âge de seize ans, elle regarda les gens s’y engouffrer et pensa qu’il devait y avoir quelques personnalités importantes à l’intérieur pour que l’on y entre avec autant de précipitation. Elle suivit la petite foule et fut surprise de ne reconnaître personne et surprise une seconde fois de devoir payer sa place alors qu’il n’y avait rien ni personne à voir !

Autour de leur yourte deux capteurs solaires pour avoir l’électricité nécessaire à la télévision. Les images qu’offre cet écran plat ne sont pas mis en concurrence avec la réalité. La nature de la cité elle avait tenté de l’inventer pour préférer le silence de la steppe.

à Ulaanbaatar 2010
Portrait n°1 | Ulaanbaatar 2010

Boldbaatar

Portrait n°3

Il y a tout juste vingt ans que nos conversations vides de mots ont débuté. Nous avions embarqués l’un et l’autre dans la même aventure, traverser la Mongolie d’Ouest en Est sur les traces du moine franciscain Guillaume de Rubrouck. Nous faisions parti d’une équipée composée de vingt personnes. Notre but était de parcourir les mille deux cents kilomètres séparant Bulgan, à l’extrême Ouest, de Karakorum l’ancienne capitale, au centre. Vingt cavaliers plus ou moins expérimentés avec chacun une mission particulière. Nous ne connaissions rien des autres sinon qu’ils étaient géographe, médecin, géo-politicien, ethno-musicologue, spécialiste des chevaux, vidéaste, peintre…

Boldbaatar parlait sans mots et sans avoir besoin d’interprète. C’est lui qui m’apprit à me tenir sur mon cheval, à le faire avancer, à lui parler, à vivre avec lui seulement en me donnant ses regards et ses sourires généreux. Notre chemin fut long, entre trente et quatre vingt kilomètres par jour, semé de difficultés géographiques ou humaines.

Sans avoir échangé autre chose que ces discrètes expressions, nous nous sommes revus parfois en France ou en Mongolie. Les marques du temps sur nos visages s’effaçaient sous ses regards. Sans doute allons-nous passer nos vies à parler avec les autres sans jamais savoir si nous-mêmes aurions pu être de vrais amis. Lorsqu’il nous arrive de nous retrouver, parfois même par hasard malgré toutes les distances qui nous séparent, c’est toujours avec surprise, émotion, plaisir. Et lorsqu’arrive ce moment de fatigue devant l’impossible dialogue il me regarde en hochant la tête, en souriant, en me faisant un clin d’œil, en me prenant par l’épaule tout en me disant un des seuls mots qu’il ait retenu de ma langue : « Mon ami ».

Notre silence serait le vide dans lequel je ne cesse de tomber (ou d’évoluer) depuis ce premier voyage dans son pays il y a vingt ans.

Portrait n°1 | Karakorum 1990

Portrait n°2 | Ulaanbaatar 2010


Gerelmaa

Elle était arrivée en France en automne 2004 pour y apprendre le français et la cuisine. Son rêve : ouvrir un restaurant à Uaanbaatar, qu’elle appellerait : Bonjour.

Dans sa famille d’accueil près de Blois où elle allait être jeune fille au pair elle commenca par se promener autour du village. Elle parcourait la campagne comme elle l’aurait fait dans son pays, la Mongolie. Les propriétés privés n’étaient pas des territoires interdits dans l’organisation de ses vagabondages.

Des amis habitant le village me téléphonèrent peu de temps après son arrivée. « – Devine ce que nous avons trouvé dans le jardin ? ». Gerelma se promenait là où la curiosité l’emmenait. Surprise de voir les pommiers les poiriers aussi généreux, elle pensait que ces fruits si gros et si beaux étaient décoratifs et faux et ne comprenait pas pourquoi il y en avait par terre. Elle avait goûté, apprécié et abusé des noix jusqu’à prendre plusieurs kilos. Elle termina son long séjour en France par être étudiante à Paris III et rentra définitivement en Mongolie en 2008. Elle se maria et devint guide pour les nombreux touristes français et réalisa son rêve d’ouvrir un restaurant. Je la retrouvai cet été, elle m’aida à réaliser quelques portraits vidéo dont le sien.

Portrait n°1 | Ulaanbaatar 2010


Zola

Rencontre dans la steppe Mongole en juillet 2003, pour l’anniversaire de Zola.


Nous étions entre Karakorum et Oulan-Bator, nous restait-il cent kilomètres à parcourir ? Ce jour-là de violentes pluies avaient inondé certains quartiers de la capitale. Nous l’ignorions encore lorsque nous fûmes obligés de quitter la route. À cet endroit précis, elle était légèrement surélevée au-dessus d’un creux naturel entre les deux pentes d’une vallée. Une ou deux heures avant notre passage, la pluie fut si forte que l’eau emporta un morceau d’asphalte, laissant un vide d’environ deux mètres de haut sur trois de large. Tous les véhicules tentaient de franchir le ruisseau provisoire en contrebas. Les uns cherchaient l’endroit apparemment idéal pour passer, les autres suivaient les traces les plus profondes. Les uns faisaient ronfler leur moteur avant de s’élancer, les autres passaient avec douceur. Aucune méthode ne fut meilleure qu’une autre et ceux qui restaient embourbés au milieu de l’eau se faisaient immédiatement aidés par les précédents qui venaient de réussir à passer. Quelques personnes avaient laissé leur véhicule plus loin pour assister au spectacle, mais aussi pour être utile ne serait-ce que guider d’un geste. Quelques-uns enlevaient leurs chaussures et chaussettes, relevaient le pantalon et allaient pieds nus dans la boue au plus près de personnes ayant besoin d’aide.
Une jeune femme — vêtue d’un pantalon rouge, coiffée d’un chapeau noir à larges bords relevés sur les côtés, chaussée de sandales à talons hauts sur des socquettes blanches — apparu de nulle part. Plantée là au milieu de la boue comme une lumière, elle souriait, s’appelait Zola, était enseignante dans un collège d’Oulan-Bator. Lorsqu’elle s’en alla, je la regardai marcher sans mal sur ce terrain bourbeux comme si la boue était un mirage, elle ne se salissait pas.
Élégance inconnue.
Elle monta à l’arrière d’une vieille Volga blanche et se fit conduire comme une reine… Plus réelle qu’une princesse de papier, elle me faisait oublier, le temps de la voir, l’écrivain auquel j’étais obligé d’associer ce nom.
Mais Zola pouvait être un prénom féminin et n’être que cela.

Caroline

Portrait n°1 | juillet 2009

Portrait n°2 | septembre 2009

Comme souvent, j’étais arrivé en retard et je m’étais dirigé vers la chaise vide la plus proche de la porte. Notre directrice parlait, elle s’interrompit brièvement pour me saluer sans me regarder. Nous étions une douzaine de professeurs autour d’une grande table improvisée avec plusieurs petites, dans une salle de classe au premier étage de notre école.
Je regardais chaque visage, tentais de m’immerger dans le discours. Il s’agissait de nous donner quelques renseignements sur l’avenir des écoles et notamment la notre mais aussi de parler de coordination, d’emploi du temps etc. Face à notre directrice Caroline écoutait, n’hésitait pas à poser une question ou donner un point de vue. Elle était vêtue d’un pull angora, clair et léger. Attentive à ce que disait notre patronne, rien ne semblait la distraire. Parfois elle consultait son iphone sur ses genoux sans s’absenter de la réunion. Je ne prêtais pas attention aux multitudes de gestes des uns et des autres.
Mon propre téléphone vibra dans ma poche. J’avais pensé à couper la sonnerie avant d’entrer dans la salle. Je le sorti de ma poche, dévérouillai le clavier pour lire le contenu du message que je venais de recevoir. Je crus d’abord à une erreur, il me fallu un bref instant pour comprendre que ce message venait de Caroline.
«- Je suis désolée de ne pas t’avoir rappelé. La semaine est passée sans que je m’en aperçoive…»
Sitôt lu j’ai relevé les yeux, Caroline me fit un sourire accompagné d’un clin d’œil. J’avais eu l’impression que ce message venait me réveiller ou que mon téléphone à travers son silence et celui des mots de Caroline était un œil secret, indiscret puisque celle qui me parlait me regardait et me souriait. J’avais eu l’impression d’une indiscipline aussi, nous étions dans une réunion sérieuse et cela me rapprochait des périodes où enfants on se jette un mot écrit sur un bout de papier froissé pendant que l’instituteur ou le prof parle.

Béatricemyself

Elle a dû quitter l’IAV lorsque j’y suis arrivé pour enseigner la photographie. Et nous nous sommes croisés dans les couloirs de l’école sans en garder de souvenirs. Chaque fois que je vais la voir à Tours, j’essaie de chercher au fond de ma mémoire l’ombre du souvenir de sa présence il y a plus de quinze ans dans l’école où je m’évertue toujours à enseigner.

Portrait n°1 | décembre 2009
Portrait n°2 | décembre 2009