Absence…

Présence | Une nouvelle étudiante

Il m’est arrivé de penser à mes futurs étudiants régulièrement durant tout un été, quels caractères et quelles expressions avaient-ils ? cet exercice était une façon de penser le temps, ne pas oublier celles et ceux qui venaient de terminer leurs études. Les visages des nouveaux ne pouvaient pas remplacer ceux des anciens, ils allaient juste s’ajouter et je n’avais qu’une envie, leur faire de la place. Je le désirais tant que je cherchais leur visage au fond de ma mémoire, j’aurais voulu les trouver, devancer le temps. Mettre mes certitudes dans cette folle attention.

En voyant les nouvelles têtes dans l’auditorium du musée des beaux-arts je me rendais compte que je n’avais pas pensé à eux cette année. Je promenais mon regard dans chaque rangée, je lisais l’auditorium comme une page d’écriture et je cherchais les silhouettes qui me remettraient en mémoire les brefs instants passés avec chaque candidats quelques mois avant.

Au milieu du gradin, une jeune fille notait avec application tout ce qui lui semblait important des différents discours. J’avais déjà oublié l’objet de mon observation et me demandais où je l’avais déjà vue ? !

Lorsque ma mémoire fut complètement rafraîchie je ne regardais qu’elle comme pour avoir la confirmation de mon sourire intérieur.

Elle avait passé son bac et l’avait obtenu, elle avait eu le résultat favorable du concours d’entrée de notre école supérieure d’art et de design. Les choses se dessinaient bien pour elle.

Elle ignore encore et ignorera peut-être toujours ce que fut notre conversation à son sujet après l’entretien au concours d’entrée.

Nous avions trouvé son dossier assez pauvre, sa candidature nous paraîssait même décalée. Certains collègues n’auraient pas pris le temps d’épiloguer sur son cas. Pour nous trois, ce jour-là, tout ce qu’elle était nous interrogeait, de son âge à ses dessins en passant par ses mots. Il y avait une concordance entre ses rêves, ses envies et son innocence entretenues par son entourage. Notre conclusion allait presque à l’encontre de nos pensées. Et d’un commun accord nous lui avions attribuer une bonne note en pensant que notre devoir était de l’aider ainsi, noter seulement sa motivation.

Aujourd’hui je l’ai vue studieuse ou heureuse ou les deux.
Et ni elle ni nous n’avons cette conscience qui prouverait nos raisons.

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Paradoxe n°1

Ou l’esprit nomade ? | Mongolie 2010

Des champs de blé à perte de vue, des épis espacés et maigres à l’image de l’herbe dans une steppe proche du désert de Gobi. Les champs de plusieurs centaines d’hectares sont encadrés, clôturés pour éviter que les troupeaux de moutons, chèvres, chevaux, yacks ou chameaux ne s’y aventurent.

La ville est construite sur un modèle, les espaces intermédiaires, intervalles entre les bâtiments ont été aménagés pour être des morceaux de nature encadrés, protégés par des petites clôtures. Ce sont des espaces d’herbes, d’herbes fleuries ou de terre nue. Parfois il arrive qu’un arbre solitaire soit là, au milieu, un survivant des hivers rigoureux? ou bien cet autre que personne n’a planté au bord d’une plate-bande un peu plus loin. Les deux semblent autant égarés. Celui qui est au bord déborde de ses limites et le jardinier coupera la barrière plutôt que de couper ses branches, le couper lui-même ou le déplacer.

Sortis du centre ville ces espaces verts redeviennent des terrains vagues, les barrières qui les encadrent sont brisées, usées, absentes. Parfois ils tentent de redevenir des morceaux de natures aménagés lorsque les jardiniers s’en occupent. La terre est ratissée, tamisée, nivelée, le gazon est à nouveau semé, protégé par une mince couche de sable fin. Le piéton n’y verra pas une amélioration de son paysage. Son paysage ce sont ses propres parcours, ses chemins invisibles. Le travail du jardinier est une sorte d’intrusion sur le territoire du passant qui ne changera pas ses habitudes. Piétiner le travail de l’autre n’est pas plus irrespectueux qu’aménager des morceaux de nature sur de réels chemins invisibles.

Absence

Ou ivresse?

J’ai regardé, j’ai écouté et je n’étais pas là, j’étais surpris de ne pas être là et pourtant, Clémentine, Julie, Sophie, Clément et Céline ont su prendre mon attention. Les exigences subtiles des collègues entretenait mon éloignement.

Cet été je n’ai pas pensé à mes futurs étudiants contrairement à certains autres étés où je m’étais amusé à cet exercice de l’impossible : penser à eux jusqu’à vouloir voir leurs visages ! Détruire le temps qui me sépare de l’instant où j’allais les découvrir. Se souvenir à l’envers !

Aujourd’hui il y avait des yeux brillants, pincement au cœur. Les nouvelles et nouveaux étudiants que je ne connais pas encore ne remplaceront ni Clémentine, ni Julie ni personne et me revient en tête cette citation de Li Tai Po :
« Vous me demandez quel est le suprême bonheur ici bas ? C’est d’écouter la chanson d’une jeune fille qui s’éloigne après vous avoir demandé son chemin ».

Regard sur le monde 10

Les souvenirs que j’emporte avec moi à chacun de mes retours d’Ulaanbaatar motivent mes futurs projets d’images lorsque j’y reviens, et je les oublie très vite devant la réalité observée.
Le ménage se fait dans ma mémoire.
Mes photographies une fois révélées ne sont là que pour mettre en lumière ce que je garde au fond de moi : une série de ponctuations disséminées sur ma longue promenade dans les villes, mais c’est aussi un jeu qui me permet de créer des formes par le biais d’enregistrements.

Arbre | Paysage à Ulaanbaatar 2010

Rentrer

Arrive la période où je peux commencer à penser la date du retour, le temps intervalle entre cette pensée et l’instant futur où l’on rentre chez soi n’existe pas. Nous sommes autre part sans y être, déjà rentrés sans y être, le voyage fini n’est pas encore achevé. Et à l’inverse de mon arrivée je regarde encore la ville, ses trottoirs défoncés, ses plates-bandes et jardins mal aménagés mais aussi tout le reste. Rien d’autre ne semble exister que ce paysage-là comme si ailleurs n’existe pas. Et pourtant je pense à ma maison, à ma ville je sais que ce paysage existe et je sais comment il est. Mon plaisir serait de ne pouvoir substituer une observation. Seul le ciel au dessus de ma ville, de ma maison et même d’ici est à envisager sans aucune rivalité.

Plate-bande n°1 | paysage à Ulaanbaatar juillet 2010

Partir

Premier sentiment précédant un voyage qui me marquait profondément, c’était il y a vingt ans:

Juillet 1990
Je me réveillais de bonne heure pour voir et photographier l’œuvre récente d’une femme sculpteur dans le parc du centre d’art Contemporain de Vassivière en Limousin. J’ai regardé le soleil se lever derrière les grands arbres autant que l’œuvre moderne. Le silence m’aida à vagabonder avec facilité dans des pensées d’irréalité. Si j’avais la possibilité d’être en suspension, immobile au dessus du globe en mouvement verrais-je éternellement le soleil levant? La terre tournerait en dessous de moi et une fois par jour la Mongolie défilerait sous mes pieds.
Dans cet instant précis j’avais seulement du mal à envisager qu’une semaine plus tard je serais là-bas. Alors je photographiais la sculpture avec l’envie de préparer mes bagages comme pour partir partout ailleurs sauf en Mongolie puisque je pensais à elle sans pouvoir la voir, sans même jamais avoir eu le désir d’y aller.
Je n’avais qu’une envie : être prêt.

Aujourd’hui j’ai retrouvé le parfum de la Mongolie dans son Ambassade, et j’ai même regretté d’y voir peu de monde, j’aurais aimé attendre juste pour être déjà là-bas.
Et puis l’autre attente:

Août 1990
Je regardai le mouvement dans l’aéroport de Moscou en attendant l’avion pour Oulan-Bator. Grandes et minces les hôtesses de l’air russes ressemblent à toutes les autres hôtesses de l’air. Elles marchaient sur le sol brillant en se souriant mutuellement ou bien en regardant droit devant elles, rien d’autre n’existait qu’elles-mêmes. Leurs talons claquaient et signaient leur passage.
Une hôtesse de l’air est un aspirateur de regards.

Dans une semaine nous devrions attendre une nouvelle fois à Moscou et aujourd’hui je me souviens seulement du plafond de l’aérogare, étourdissant.