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Être de nulle part, ou n’avoir plus de racines, une interrogation, une préoccupation lointaine ?

10 juillet 1990

La chaleur, la lumière, la Chartreuse, l’été serait seulement ici et je retrouve l’odeur d’une Athènes, à venir ! Parfois j’espère que le voyage en Mongolie restera un projet, je ne prends pas le temps de le comprendre.

Hier Anny Milovanoff m’a reçu avec son sourire sans âge. Dans son bureau il y avait une photographie de Mimo Jodice, parfois nos images sont très proches.

Ce matin une jeune fille est venue m’apporter un petit déjeuner dans ma chambre d’hôtel. Je sommeillais encore. Dans son tablier blanc, je reconnus celle qui était derrière le comptoir de la boulangerie de Villeneuve-lez-Avignon, l’an dernier. J’avais plaisir à sortir le matin pour voir le mouvement de la rue, acheter une baguette, parfois des croissants.

Le mistral souffle, le ciel est bleu, j’aurais aimé prendre le temps d’aller voir la Méditerranée.

Je suis arrivé en avance pour le déjeuner de presse, Coco était seule à préparer les tables du repas. Lorsque Daniel Girard, le directeur de la Chartreuse est arrivé nous avons parlé en attendant les autres tout en buvant un verre de punch avec Coco. J’ai raconté ma mésaventure à Barcelone.

Un des journalistes me demanda de lui consacrer quelques minutes. Il ne comprenait pas ce qu’avait écrit Anny, à propos de mon travail, sur le document de presse, alors je lui ai conseillé de l’attendre. Il me posa d’autres questions sans importances. Jean-Louis me remit en mémoire la journée que nous avions passée à Marseille et notre conversation qui avait duré tout le temps de cette escapade. L’avais-je notée dans mon cahier vert ?

En attendant l’heure du vernissage je m’évadais dans ce que j’ai retenu des discours et des conversations avec les uns et les autres à propos de la reconnaissance des œuvres et de leurs auteurs, la manière d’être et de vivre lorsqu’on est artiste. Les moyens pour être reconnu sont tels qu’on ne peut échapper à cette mise en lumière si l’on a un peu de talent. Les marchands, les critiques sont si ouverts, si intelligents, si curieux qu’on ne peut échapper à la célébrité sauf si on est mauvais ! Dans ce cas personne vous le dit, on vous le murmure et l’on entend ce chuchotement sans même l’écouter. Creuser sa tombe ou son sillon où est la différence ?

Je regagnais ma chambre d’hôtel pour ne rien oublier, écrire. Les fenêtres étaient ouvertes, le mistral soufflait, la chaleur était moins forte qu’à mon arrivée. J’avais plaisir à être peu vêtu même à l’ombre. Je me sentais heureux et ne comprenais pas pourquoi j’allais devoir remonter dans ma ville grise.

Au vernissage j’ai revu une femme brune très jolie, nous nous étions souvent croisés à la Chartreuse l’an dernier. Alors je me souvenais de mon dernier jour de résidence, fin mai. Nous avions dîné chez Coco avec Randy. Cette femme très élégante m’avait rendu visite dans ma cellule après le repas pour découvrir mes photographies. Que faisait-elle pour venir souvent à la Chartreuse ? Elle s’intéressait à tout ce que produisaient les artistes-résidents. Ce jour-là elle portait une jupe foncée et s’était assise par terre pour regarder mes images. Elle parlait de chaque photo, les analysant avec méthode. Elle prenait son temps et lorsqu’elle se releva, sa jupe était salie et je n’osais lui dire.

Ce soir je l’ai écouté à nouveau me parler des photographies du Pont du Gard. Avec Randy nous discutions tous les deux lorsqu’elle nous retrouva. Séducteur, il lui fit un compliment sur son décolleté avant même de lui dire bonjour. Elle était habillée très légèrement. Elle porta une main sur sa poitrine pendant une seconde pour mieux se dévoiler ensuite sous le regard et le sourire québécois de Randy.

J’ai pensé à une amie qui m’aurait dit une fois de plus qu’aucune femme n’est innocente et je lui aurais dit que peut-être si quand même !

J’ai regardé le monde à ce vernissage, avec un sentiment d’éloignement, j’ai eu envie de partir pour aller écrire sur la pauvreté des regards et du mien.