Journal 1

Depuis quelque temps je range, trie, textes et photographies. Je publierai d’une manière non chronologique quelques textes.

Dans cette période j’avais accompagné une ou deux classes d’un collège à Barcelone dans le but d’aider les jeunes à pratiquer la photographie. L’avant dernier jour de notre séjour on m’a volé l’ensemble de mon matériel photo ainsi qu’un cahier sur lequel j’aimais noter mes observations et réflexions.

Je tentais d’écrire à nouveau.

juin 1990

J’avais cherché l’endroit dans lequel j’allais pouvoir entendre la vie bruyante et malgré tout m’en isoler. M’abandonner. J’étais presque sûr de ne plus jamais savoir écrire, même une seule phrase et encore moins une page.

Et pourtant je regardais les étalages de cahiers dans les super-marchés, les papeteries, comme on regarde la vitrine d’un pâtissier. Je cherchais des pages blanches et l’outil pour les noircir. Je m’amusais ou je souffrais dans ma confusion. Chaque instant de cette période me paraissait intéressant au point de croire qu’il fallait tout noter et je laissais ces choses s’échapper. Je les vivais sans plus savoir où était le début, sans même pouvoir revenir en arrière. Je partageais ces instants sans rien dire de l’amour, du désir, du plaisir et de leurs contraires.

J’achetais un petit carnet et un paquet de feuilles reliées prédécoupées. Je découvrais presque la possibilité de les laisser attachées ou bien de les détacher. Je commençais mon exercice d’écriture en attendant une amie.

J’avais la conviction que je ne pourrais jamais me souvenir d’Athènes et donc de ne jamais pouvoir écrire cette ville oubliée dans laquelle j’avais abandonné ou concentré toutes mes autres villes. Ma mémoire se trouvait dans un cahier, je l’avais voulue dans un cahier, je l’avais perdu, on me l’avait volé avec mon matériel de prise de vues.

Je me souvenais même de photographies qui n’existaient pas comme on pourrait se souvenir du visage de quelqu’un qui ne serait pas encore né !

J’avais le désir de photographier n’importe quoi, tout ! Pour utiliser mes nouveaux outils. Envie d’écrire pour seulement faire glisser mon stylo neuf sur ces pages neuves. Envie de ne rien savoir, tout commencer, devenir photographe, écrire mes premières impressions, mes découvertes, mes maladresses. Noircir du papier avec de la lumière et de l’encre, les salir n’importe comment.

Sur la table que j’avais choisie dans le bar de la galerie marchande du super-marché restait deux gobelets vides. Les précédents avaient bu un jus d’orange et fumé une cigarette. Je commandais un café, un pain au chocolat et je commençais à écrire.

Un couple âgé vint s’asseoir à une table voisine. L’homme avait un foulard de soie autour du cou. Il me regardait écrire. Cherchait-il à déchiffrer les mots qu’il voyait s’inscrire à l’envers ? J’étais heureux, l’encre coulait, j’attendais sans me souvenir de rien. Tout ce que j’avais à écrire avait la forme légère de l’absence et rien ne me manquait plus.