Journal 2

Journal 1

Après le second confinement ou pendant le couvre-feu, l’isolement m’a invité à m’enfermer dans mon laboratoire, visiter mes planches contacts, sortir du temps présent non pas pour le fuir, mais par obligation.

Notre situation ne fait écho à rien sinon que je n’ai jamais songé atteindre une telle période.

17 juin 1990

Il y a deux ans j’étais venu photographier élus et personnalités au vernissage de l’exposition de plans, dessins et maquettes du futur Centre d’Art Contemporain signé Aldo Rossi.

Il faisait chaud.

Il m’arrivait de relire les premières pages de ce cahier sur lequel j’avais noté cette journée. Depuis le 11 mai dernier à Barcelone il ne m’est plus possible de le faire.

Aujourd’hui je garde le souvenir très vague des mots, tout comme cette journée presque sans parole. Pendant le dîner une vieille femme n’avait cessé de parler pour dire des âneries, une jeune étudiante en architecture face à moi me parlait si doucement qu’elle s’approchait les coudes sur la table et le menton posé sur ses mains croisées.

J’avais pris l’habitude d’aller dans ce centre d’art pour photographier les œuvres de David Jones, David Nash, Jean-Pierre Uhlen, Bernard Calet et aujourd’hui Dominique Bailly. Je regardais chaque nouveauté en essayant de trouver l’œuvre la plus juste, la plus forte, celle qui ne serait ni cachée, ni intégrée. Je cherchais l’objet vivant, à l’image d’une branche morte au centre d’une allée ! Je posais un regard assuré sur ce que je connaissais déjà. Heureux de revoir les bois brûlés de David Nash qui appellent, interrogent, rassurent, reposent. Je découvrais l’œuvre de Dominique Bailly en cherchant comment restituer ce que je croyais comprendre. Je me heurtais à sa modestie avec doutes. L’artiste était là avec le directeur du centre. Les deux me donnaient des informations pour orienter mon point de vue. L’une a fabriqué et l’autre a mis en place. Elle ne cachait pas leur intimité.

Sa sculpture installée à côté des bois brûlés de David Nash était constituée de cinq pièces en bois poli posées à côté de blocs de pierres le tout formant un petit monticule lumineux au milieu des arbres. Rapport de formes pour nous faire découvrir la nature. Humilité de l’auteure puisqu’on peut ou l’on pourrait ne plus faire de différence entre le travail de la nature et celui l’artiste. Elle m’expliqua le nettoyage de cet espace, le débroussaillage, la découverte des gros cailloux et la fabrication de la petite bute en terre recouverte de mousse. Tout y est précieux et devrait être préservé des intempéries, des jeux d’enfants et des animaux de la forêt. Cette œuvre est la représentation et la présentation de la nature.

J’ai aimé, me promener seul le matin au lever du jour, entendre les merles chanter, voir un écureuil tourner autour de cette œuvre comme si c’était un vide dans lequel il ne pouvait tomber, j’ai photographié cette absence. Une autre fois l’aimerais-je peut-être ?