Journal 4

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Période où je me partageais entre Athènes, le Pont du Gard et le projet de voyage en Mongolie.

5 juillet 1990

Rencontre d’un chercheur au musée Guimet pour recevoir son enseignement afin de savoir dater un pétroglyphe. Nous devrions en croiser sur notre route si nous réussissons à partir.

Je n’ai pas encore trouvé ma véritable place dans cette équipée.

Quelqu’un me disait que le CNRS est pauvre, il ne connaît de la photographie que les petits appareils japonais 24×36. J’ai pensé aux photographes du siècle dernier qui accompagnaient les équipes scientifiques dans les pays lointains pour revenir avec des images authentiques des véritables ailleurs. Nous ont-ils prouvé que le vrai est en dehors de l’idée, loin de sa représentation, et qu’il était à vivre ?

Gare d’Austerlitz, Paris sous un ciel gris d’automne en juillet, le vent est froid.

Je regarde autour de moi comme d’habitude lorsqu’il m’arrive d’y attendre un train. La salle du buffet de la gare est pleine de voyageurs avec leurs valises à roulettes. Un vieux couple est venu à la table voisine. Lui me fait penser à quelqu’un, je l’aurais déjà vu, nous nous serions parlés. Il discute avec sa femme, son sourire est clair. Elle porte une perruque d’une couleur indéfinie entre le gris et le blond. Elle mange une part de tarte aux pommes.

Je pense aux différents moments où j’ai teinté cette gare et son buffet de la couleur d’un ciel d’où je venais. Une ville, un pays ou seulement un ailleurs méditérranéen. Je n’avais jamais envie d’être là.

Quand avais-je gardé en mémoire la grande avenue, chargée d’images publicitaires et presque laide entre le centre-ville et l’aéroport ? Et le souvenir d’un autre couple assis à une table à côté. Elle était habillée de bleu marine, et coiffée d’un chignon. Elle nous regardait de ce regard ressemblant à sa coiffure. Était-ce moi qui aimais provoquer en étant plongé dans les pupilles et les baisers que me donnait une amoureuse, par-dessus la table ? Les autres étaient un miroir tout comme aujourd’hui. Quel temps faisait-il ? Et la couleur du ciel ? Je revenais d’où ? J’avais souffert de ne pouvoir tout noter ce que je vivais, voyais, ressentais chaque jour.

Toutes ces notes, un jour je les aurais négligées peut-être. On me les a prises et je tente de ne pas les oublier. Écrire c’était jeter. Mes cahiers sont les poubelles de ma mémoire et je les garde en croyant préserver mes souvenirs comme un fou vivant au milieu de sacs remplis d’ordures.

Une vieille femme vient s’asseoir près de moi, elle a le front et le cou ridés, elle est maigre, les cheveux courts blancs et ondulés. Elle est vêtue d’un polo bleu marine, elle a posé un sac plastique par terre, un sac trop petit pour contenir un paquet cadeau bien enveloppé avec du beau papier et ficelé en doré frisé. De l’autre côté de l’allée centrale, j’ai cru apercevoir et reconnaître une hôtesse de la scène nationale de Blois. Le bruit me fatigue et j’aimerais m’épuiser sur ces feuilles, me perdre dans le récit de ce que je suis venu faire et voir ici à Paris. Raconter ma visite au professeur F. du musée Guimet, ce que je vois ici dans la gare ou encore ce que je pense. Je ne trouve plus les mots et m’évade ailleurs sans savoir le définir.

Je cherche comment retrouver Athènes. Les amis sont rassurants, la perte de ce cahier n’est pas grave, je m’accroche à cette disparition, je me cache derrière cette absence, j’éclipse mes craintes de n’avoir jamais su écrire.

Retrouver Athènes, ne regarder que le plan de la ville, arrêter de revoir les planches contacts.

Raconter le silence entre chaque murmure, le mouvement entre chaque photographie.