Absence

Ou ivresse?

J’ai regardé, j’ai écouté et je n’étais pas là, j’étais surpris de ne pas être là et pourtant, Clémentine, Julie, Sophie, Clément et Céline ont su prendre mon attention. Les exigences subtiles des collègues entretenait mon éloignement.

Cet été je n’ai pas pensé à mes futurs étudiants contrairement à certains autres étés où je m’étais amusé à cet exercice de l’impossible : penser à eux jusqu’à vouloir voir leurs visages ! Détruire le temps qui me sépare de l’instant où j’allais les découvrir. Se souvenir à l’envers !

Aujourd’hui il y avait des yeux brillants, pincement au cœur. Les nouvelles et nouveaux étudiants que je ne connais pas encore ne remplaceront ni Clémentine, ni Julie ni personne et me revient en tête cette citation de Li Tai Po :
« Vous me demandez quel est le suprême bonheur ici bas ? C’est d’écouter la chanson d’une jeune fille qui s’éloigne après vous avoir demandé son chemin ».

Entretiens

Au concours d’entrée d’une école supérieure d’art et de design.

Ou les portraits de Marlyne ancienne étudiante et celui d’une jeune candidate.

Elle avait été étudiante en cinquième année lorsque j’arrivais dans cette école des beaux-arts pour y enseigner la photographie. Aujourd’hui nos habitudes sont de nous voir une ou deux fois par an, elle avec son mari et leur fille, moi avec ma compagne et notre fille. Il faut environ six heures pour nous rendre chez l’autre, un temps que nous avons pris la seconde semaine des vacances de printemps.
Le soir au diner, je donnais quelques nouvelles de l’école, des professeurs qu’elle avait eu, puis je racontais la journée consacrée aux entretiens du concours d’entrée une semaine auparavant. L’ultime épreuve pour les candidats étant une entrevue de quinze minutes devant un jury constitué de trois ou quatre professeurs. Cette épreuve nous permet de repérer quelques candidats brillants que nous espérons toujours revoir à la rentrée suivante.
Avec Samuel et Philippe, professeur de graphisme et de design objet, nous formions tous les trois le jury n°4. Au milieu des candidats que nous trouvions moyens, une jeune fille de seize ans attira notre attention malgré son dossier personnel assez médiocre constitué de dessins au crayon qu’elle faisait d’après photo. Elle dessinait des portraits d’enfants et d’animaux de ses voisins ou de sa propre famille. L’ensemble était scanné et tiré au même format avec titres et dates centrés sur chaque page en bas du dessin dans une typographie lourde. Elle montrait une certaine habileté à reproduire une photographie mais l’ensemble formait un cahier d’une expression pauvre. Nous lui avions posé quelques questions à propos de son univers familial qui, d’après ses réponses l’encourageait et la soutenait dans ses choix et son goût. Elle allait passer son bac dans deux mois. Ses motivations ne faisaient aucun doutes. Lorsque vint le moment de la délibération un instant de silence régnait comme pour laisser l’autre parler. Nous étions tous les trois en accord sur la qualité de son dossier et autant séduits par ses motivations et son innocence mais rien ne pouvait justifier une bonne note au final.
Lorsque je pris la parole après un bref instant muet, les mots qui sortaient de ma bouche exprimaient le contraire de ma pensée et je dis que nous devions lui donner une très bonne note. Mes deux collègues me regardèrent avec une sorte de sourire sans surprise et attendaient ma justification.
«Ah oui! Pourquoi? » me demandèrent-ils?
– Parce qu’il faut tout simplement la sortir de sa famille!
– Tu as sans doute raison, me répondirent-ils». Et l’on évoqua ses éventuelles futures difficultés. Avions-nous envie de la préserver et la brusquer en même temps ? Nous débordions de notre rôle puisque nous pouvions être en train de créer de l’injustice en voulant être plus justes. Ce que l’on estimait ne pouvait pas recevoir une note sur 20.
Après notre discussion qui dura peu de temps nous avons rempli son bulletin en surestimant largement son dossier avec bonheur.
Une fois mon récit terminé je regardais Marlyne à côté de moi, elle n’avait rien dit durant mon monologue et j’observais une larme au bord de son œil droit, elle me dit alors combien ce que je venais de raconter la rassurait.
«- J’espère que je jury devant lequel je suis passé lors de mon entretien au concours d’entrée a eu la même réaction que vous car je voulais tellement que l’on me sorte de ma famille…»
Et par curiosité j’ai tapé le mot SORTIR dans la fenêtre du dictionnaire de l’ordinateur pour avoir un synonyme et dans la liste proposée j’ai retenu NAÎTRE.

Caroline

Portrait n°1 | juillet 2009

Portrait n°2 | septembre 2009

Comme souvent, j’étais arrivé en retard et je m’étais dirigé vers la chaise vide la plus proche de la porte. Notre directrice parlait, elle s’interrompit brièvement pour me saluer sans me regarder. Nous étions une douzaine de professeurs autour d’une grande table improvisée avec plusieurs petites, dans une salle de classe au premier étage de notre école.
Je regardais chaque visage, tentais de m’immerger dans le discours. Il s’agissait de nous donner quelques renseignements sur l’avenir des écoles et notamment la notre mais aussi de parler de coordination, d’emploi du temps etc. Face à notre directrice Caroline écoutait, n’hésitait pas à poser une question ou donner un point de vue. Elle était vêtue d’un pull angora, clair et léger. Attentive à ce que disait notre patronne, rien ne semblait la distraire. Parfois elle consultait son iphone sur ses genoux sans s’absenter de la réunion. Je ne prêtais pas attention aux multitudes de gestes des uns et des autres.
Mon propre téléphone vibra dans ma poche. J’avais pensé à couper la sonnerie avant d’entrer dans la salle. Je le sorti de ma poche, dévérouillai le clavier pour lire le contenu du message que je venais de recevoir. Je crus d’abord à une erreur, il me fallu un bref instant pour comprendre que ce message venait de Caroline.
«- Je suis désolée de ne pas t’avoir rappelé. La semaine est passée sans que je m’en aperçoive…»
Sitôt lu j’ai relevé les yeux, Caroline me fit un sourire accompagné d’un clin d’œil. J’avais eu l’impression que ce message venait me réveiller ou que mon téléphone à travers son silence et celui des mots de Caroline était un œil secret, indiscret puisque celle qui me parlait me regardait et me souriait. J’avais eu l’impression d’une indiscipline aussi, nous étions dans une réunion sérieuse et cela me rapprochait des périodes où enfants on se jette un mot écrit sur un bout de papier froissé pendant que l’instituteur ou le prof parle.