Absence…

Présence | Une nouvelle étudiante

Il m’est arrivé de penser à mes futurs étudiants régulièrement durant tout un été, quels caractères et quelles expressions avaient-ils ? cet exercice était une façon de penser le temps, ne pas oublier celles et ceux qui venaient de terminer leurs études. Les visages des nouveaux ne pouvaient pas remplacer ceux des anciens, ils allaient juste s’ajouter et je n’avais qu’une envie, leur faire de la place. Je le désirais tant que je cherchais leur visage au fond de ma mémoire, j’aurais voulu les trouver, devancer le temps. Mettre mes certitudes dans cette folle attention.

En voyant les nouvelles têtes dans l’auditorium du musée des beaux-arts je me rendais compte que je n’avais pas pensé à eux cette année. Je promenais mon regard dans chaque rangée, je lisais l’auditorium comme une page d’écriture et je cherchais les silhouettes qui me remettraient en mémoire les brefs instants passés avec chaque candidats quelques mois avant.

Au milieu du gradin, une jeune fille notait avec application tout ce qui lui semblait important des différents discours. J’avais déjà oublié l’objet de mon observation et me demandais où je l’avais déjà vue ? !

Lorsque ma mémoire fut complètement rafraîchie je ne regardais qu’elle comme pour avoir la confirmation de mon sourire intérieur.

Elle avait passé son bac et l’avait obtenu, elle avait eu le résultat favorable du concours d’entrée de notre école supérieure d’art et de design. Les choses se dessinaient bien pour elle.

Elle ignore encore et ignorera peut-être toujours ce que fut notre conversation à son sujet après l’entretien au concours d’entrée.

Nous avions trouvé son dossier assez pauvre, sa candidature nous paraîssait même décalée. Certains collègues n’auraient pas pris le temps d’épiloguer sur son cas. Pour nous trois, ce jour-là, tout ce qu’elle était nous interrogeait, de son âge à ses dessins en passant par ses mots. Il y avait une concordance entre ses rêves, ses envies et son innocence entretenues par son entourage. Notre conclusion allait presque à l’encontre de nos pensées. Et d’un commun accord nous lui avions attribuer une bonne note en pensant que notre devoir était de l’aider ainsi, noter seulement sa motivation.

Aujourd’hui je l’ai vue studieuse ou heureuse ou les deux.
Et ni elle ni nous n’avons cette conscience qui prouverait nos raisons.

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Au concours d’entrée d’une école supérieure d’art et de design.

Ou les portraits de Marlyne ancienne étudiante et celui d’une jeune candidate.

Elle avait été étudiante en cinquième année lorsque j’arrivais dans cette école des beaux-arts pour y enseigner la photographie. Aujourd’hui nos habitudes sont de nous voir une ou deux fois par an, elle avec son mari et leur fille, moi avec ma compagne et notre fille. Il faut environ six heures pour nous rendre chez l’autre, un temps que nous avons pris la seconde semaine des vacances de printemps.
Le soir au diner, je donnais quelques nouvelles de l’école, des professeurs qu’elle avait eu, puis je racontais la journée consacrée aux entretiens du concours d’entrée une semaine auparavant. L’ultime épreuve pour les candidats étant une entrevue de quinze minutes devant un jury constitué de trois ou quatre professeurs. Cette épreuve nous permet de repérer quelques candidats brillants que nous espérons toujours revoir à la rentrée suivante.
Avec Samuel et Philippe, professeur de graphisme et de design objet, nous formions tous les trois le jury n°4. Au milieu des candidats que nous trouvions moyens, une jeune fille de seize ans attira notre attention malgré son dossier personnel assez médiocre constitué de dessins au crayon qu’elle faisait d’après photo. Elle dessinait des portraits d’enfants et d’animaux de ses voisins ou de sa propre famille. L’ensemble était scanné et tiré au même format avec titres et dates centrés sur chaque page en bas du dessin dans une typographie lourde. Elle montrait une certaine habileté à reproduire une photographie mais l’ensemble formait un cahier d’une expression pauvre. Nous lui avions posé quelques questions à propos de son univers familial qui, d’après ses réponses l’encourageait et la soutenait dans ses choix et son goût. Elle allait passer son bac dans deux mois. Ses motivations ne faisaient aucun doutes. Lorsque vint le moment de la délibération un instant de silence régnait comme pour laisser l’autre parler. Nous étions tous les trois en accord sur la qualité de son dossier et autant séduits par ses motivations et son innocence mais rien ne pouvait justifier une bonne note au final.
Lorsque je pris la parole après un bref instant muet, les mots qui sortaient de ma bouche exprimaient le contraire de ma pensée et je dis que nous devions lui donner une très bonne note. Mes deux collègues me regardèrent avec une sorte de sourire sans surprise et attendaient ma justification.
«Ah oui! Pourquoi? » me demandèrent-ils?
– Parce qu’il faut tout simplement la sortir de sa famille!
– Tu as sans doute raison, me répondirent-ils». Et l’on évoqua ses éventuelles futures difficultés. Avions-nous envie de la préserver et la brusquer en même temps ? Nous débordions de notre rôle puisque nous pouvions être en train de créer de l’injustice en voulant être plus justes. Ce que l’on estimait ne pouvait pas recevoir une note sur 20.
Après notre discussion qui dura peu de temps nous avons rempli son bulletin en surestimant largement son dossier avec bonheur.
Une fois mon récit terminé je regardais Marlyne à côté de moi, elle n’avait rien dit durant mon monologue et j’observais une larme au bord de son œil droit, elle me dit alors combien ce que je venais de raconter la rassurait.
«- J’espère que je jury devant lequel je suis passé lors de mon entretien au concours d’entrée a eu la même réaction que vous car je voulais tellement que l’on me sorte de ma famille…»
Et par curiosité j’ai tapé le mot SORTIR dans la fenêtre du dictionnaire de l’ordinateur pour avoir un synonyme et dans la liste proposée j’ai retenu NAÎTRE.