Vieillir (4)

À l’ombre de mes étudiants ou le portrait le Hyun-Chuul

La présentation de son travail n’avait pas été très bonne, Hyun-Chuul avait été le dernier étudiant de la journée et rien ne l’avait aidé à être clair ce soir-là entre les conseils de ses camarades, son trac et la fatigue du jury. Pourtant je n’étais pas soucieux, l’ensemble de ses recherches me paraissait suffisamment fort pour éviter toute polémique.

Le président du jury était directeur d’une école d’art du centre de la France, il ne cessait d’affirmer ses appartenances politiques avec fierté. Une fois réunis dans la salle de délibération après le passage de Hyun-Chuul notre président dérogeant aux règles, prit la parole le premier, d’abord il était entré en regardant sa montre et en nous disant:

« – Ce soir nous ne finirons pas tard.», puis comme pour orienter le débat où pour l’étouffer il nous dit que cet étudiant n’aura pas son diplôme.

« – Il y a trop de coréens dans nos écoles ! » Osait-il nous dire! Celui-là se risquait à parler de sa solitude en citant Dieu quelques fois, cela était insupportable pour lui. Je m’opposais en argumentant sur la poésie des travaux de Hyun-Chuul. Un des membres du jury me suivi jusqu’au bout du débat, il me restait à convaincre le dernier, la voix du président comptait double, nous devions être trois à nous opposer à lui si je voulais un résultat en accord avec ma pensée. Souvent nous traversions de longs moments de silence le président les rompait toujours de la même façon :

« – Alors Felipe me disait-il, que fait-on ? ». Au bout d’une heure ou deux lorsqu’il me posa à nouveau cette question je lui demandais s’il se moquait de moi. La personne indécise, n’était pas à convaincre puisque je devais me résoudre. C’est après trois heures que notre indécis se rangea du côté du président, faisant basculer Hyun-Chuul parmi les étudiants qui avaient échoué. Les notes qui lui avaient été attribuées furent réétudiées par lui seul et pour empêcher toute contestation il gomma le 9 sur 20 que seul il avait estimé pour lui mettre 7 !

Il a fallu une ou deux heures supplémentaires pour expliquer à l’étudiant qu’il n’avait pas obtenu son diplôme.
Les jours suivants je prenais de ses nouvelles de temps en temps par inquiétude.

Hyun-Chuul redoubla, continua à produire des récits constitués de photographies de textes et de vidéos. Lorsqu’il se présenta devant un autre jury un an plus tard on lui donna une mention en s’étonnant qu’il n’ait pas obtenu ce diplôme un an auparavant. Puis il fit sa route en second cycle.

Songeait-il au moment où il devrait rentrer chez lui en Corée ? Alors il pensait à toutes les personnes qu’il avait croisé ici, ses amis ses camarades et les autres, les familles de ses amis, les amis des amis etc. Il était aspiré par l’idée de fabriquer des liens avec n’importe qui juste pour rentrer en Corée avec la preuve éternellement vivante de son passage ici en Europe? Il organisait son travail durant ces deux années autour de cette idée de liens. En fin de cinquième année, il présenta l’intégralité de ses expérimentations dans l’atelier de photographies au sous-sol de l’école, pour se préserver des regards? Son vœux avait été de montrer son travail sans aucune autre personne sinon le jury et son tuteur qui ne connaissait pas encore la totalité de ses images.

Lorsqu’il sortit de la salle de délibération où il apprit qu’il avait obtenu son diplôme, il était heureux sans que l’on puisse le déceler sur son visage. Le président lui avait même communiqué la note que le jury lui attribua: 19/20. Je le félicitais à mon tour et lui dit :

« - Tu dois avoir envie de téléphoner à ta famille à Séoul, tes parents vont être contents.
- Je ne peux pas leur téléphoner car lorsque j’avais échoué il y a trois ans je n’ai jamais pu leur dire, mes parents ne savent pas que j’ai redoublé, ils pensent que j’ai terminé mes études il y a un an ».

Hyun-Chuul n’envisageait même pas de les appeler pour rectifier son mensonge tellement pardonnable et partager son invisible succès comme si son destin était de savoir fabriquer ses douleurs et ses bonheurs avec les mêmes ingrédients, être exilé toujours, peu importe comment, inconfort qui devrait être une leçon pour celui qui astique chaque jour ses idées de faucille et de marteau !