Partir (2)

Réminiscence des ailleurs

Une petite fenêtre sur le pignon sud de la maison au deuxième étage était le point de vue que j’avais choisi pour m’évader, m’échapper, me réfugier. Sans savoir où me réfugier, ni pourquoi, ni d’où je devais m’échapper, rien n’était défini sinon l’envie de mouvement, d’immobilité ou l’impossible mariage des deux ?

La maison était située dans une voie étroite entre le Château et la Loire. Cette petite fenêtre exposée au sud m’offrait l’unique perspective. Tout au bout à deux cents mètres un petit morceau de Loire pris dans le champ qu’offrait le dessin de la rue et des maisons qui la bordaient. Le mouvement du fleuve d’Est en Ouest, de gauche à droite me laissait imaginer l’autre perspective, celle qui nous était possible d’entrevoir au bout de la rue à droite et bien après l’horizon, l’infini au-delà de l’embouchure à deux cent cinquante kilomètres.

Dans l’ébrasement de cette fenêtre, j’avais installé un plan de travail pour écrire, lire, ne rien faire même. Merveilleux sanctuaire étroit et contraignant qui appelait l’immobilité, comme le miroir reflétant le mouvement imperceptible, invisible, insignifiant, parfois effrayant ou spectaculaire d’un fragment de Loire sombre, gris-chaud presque vert, ou bien étincelant, brillant, éblouissant, tout comme les toits d’ardoises, en contrejour, des maisons situées sur les quais de l’autre côté, au Sud. Image silencieuse qui parfois m’incitait à descendre avec un appareil photo, aller au bout de ma rue regarder le fleuve en dessous du parapet. L’image possible était sonore, l’ailleurs bien que je m’en sois rapproché était toujours loin en contrebas du garde-fou, inaccessible. La ville devenait pour un instant l’extension de mon abri. Je m’y sentais non plus réfugié mais prisonnier pour mieux penser le verbe partir et n’envisager le voyage que dans une formidable dérive sur l’eau.

Mon absence d’ambition m’orientait, ma seule voie possible était l’obligation de faire corps avec les mouvements du globe.