Un vide

Ou un silence.

En rentrant, ma grand-mère me demanda ce que j’avais vu en ville.

Je venais d’accompagner ma mère à faire ses courses en ville, avais-je cinq ans, plus ou moins, je ne m’en souviens pas? Elle me raconta cette anecdote quelques temps avant de mourir.

Je lui répondais :

– J’ai vu un drôle de bonhomme.

– Et qu’avait-il ce bonhomme ?

– Il n’avait pas de jambes.

– Ça arrive…

– Il n’avait pas de bras non plus.

– Tu en es sûr ?

– Oui et il n’avait pas de corps !

– Non ! Ce n’est pas possible.

– Et il n’avait pas de tête !

– Mais alors qu’avait-il ?

– Il avait un œil !

Entre ce moment et aujourd’hui j’avais eu envie de devenir peintre, parce que j’étais fasciné par ces gens qui reproduisaient des images, souvent pieuses, à la craie sur les trottoirs. On pouvait donc être cela ?

Dans cette période-là je ne comprenais pas pourquoi mon père rentrait chaque soir de l’usine avec les mains sales et pourquoi un de mes oncles avait les ongles taillés comme ceux de ma mère, l’un était ouvrier et l’autre ingénieur. Rien de ces observations ne m’aidait à construire mes ambitions.

J’ai rêvé d’être peintre. Était-ce le silence de l’atelier ou celui de l’image qui m’attirait tant, je ne sais plus ? Je passais mes étés à regarder le ciel pour rêver le globe, définir l’ailleurs ? J’ai dessiné, j’ai peint avec une lenteur de plus en plus excessive jusqu’à atteindre la photographie. Enregistrer la réalité par instant pour mieux l’extraire à elle-même juste pour inventer ? Une interrogation qui me guide encore avec l’inconfort du doute.